Ce numéro de la revue Éducation & Formations s’intéresse aux expériences de vie et de formation des élèves de la voie professionnelle. Il met en perspective le bien-être des élèves, leur parcours scolaire et leur orientation, et en regard les conditions de travail et le bien-être de leurs enseignants. Deux articles hors thèmes abordent l’accès en licence après un baccalauréat technologique et la motivation des élèves à répondre à un test standardisé.
Rédactrice en chef : Caroline Simonis-Sueur
Sommaire
Filles et garçons de lycée professionnel.
Diversité et complexité des expériences de vie et de formation
Prisca Kergoat, Valérie Capdevielle-Mougnibas, Amélie Courtinat-Camps, Julie Jarty, Benjamin Saccomanno
Cette contribution pluridisciplinaire présente la synthèse d’une étude qualitative réalisée auprès d’enseignantes et d’enseignants des deux sexes, et d’élèves de lycées professionnels, scolarisés en première et terminale bac pro, dans des métiers relevant des domaines de la construction (spécialités du bâtiment) et des services aux personnes (spécialités plurivalentes sanitaires et sociales). La perspective théorique adoptée privilégie l’étude de l’interstructuration des processus sociaux et psychologiques qui participent à la construction des expériences. L’analyse des données (questionnaires informatisés et entretiens semi-directifs) mobilise une approche en clusters qui a permis la construction d’une typologie en cinq classes. Les résultats montrent la diversité et la complexité des expériences des élèves de LP, l’importance de la relation aux enseignantes et aux enseignants ainsi que la fonction subjective des conduites de transgression fortement genrées. Les auteurs insistent sur la nécessaire prise en compte des enjeux de la construction identitaire à l’adolescence pour expliquer les conditions de vie et de formation des filles et des garçons de LP, construction identitaire qui se déploie dans des contextes pluriels, fortement ségrégés et soumis à l’influence des rapports sociaux de sexe, de classe, d’origine et de génération.
Bien-être en lycée professionnel et avenir envisagé.
Le cas des élèves préparant le bac professionnel
Philippe Lemistre
L’objectif de cet article est d’étudier le bien-être des lycéens professionnels, en lien avec les perspectives post-bac qu’ils envisagent. Après une discussion sur les approches disciplinaires du bien-être, les investigations ont été menées à partir d’une enquête réalisée en 2014 dans cinq lycées professionnels pour 963 lycéens de première et terminale (hors apprentissage). Quatre scores ont été constitués, chacun se rapportant à un registre spécifique : « conditions scolaires », « relations sociales », « épanouissement personnel » et « état de santé ».
En privilégiant une approche sociologique de ces indicateurs, ils ont été mis en relation avec les variables contextuelles et sociodémographiques, puis leurs effets sur les projections vers l’avenir ont été comparés à ceux, connus et à nouveau démontrés, de l’origine sociale. Les indicateurs de bien-être qui gardent une forte dimension subjective s’avèrent néanmoins liés aux parcours d’études, à la situation familiale et à la mixité dans la classe. Certains d’entre eux ont une influence considérable sur le souhait de poursuivre des études. La mise en œuvre de politiques publiques pour améliorer certaines dimensions du bien-être pourrait alors influencer la poursuite d’études.
L’orientation en CAP Métiers de l’automobile et Coiffure.
Entre élaboration d’aspirations et conditions d’affectation
Sophie Denave, Fanny Renard
Cet article étudie les processus d’orientation post-troisième à partir d’une enquête menée auprès de jeunes préparant un CAP Coiffure ou Métiers de l’automobile en lycée professionnel ou en CFA. Ces deux spécialités ont en commun d’être à la fois attractives et relativement sélectives, accueillant des jeunes issus des fractions stabilisées des classes populaires. Mais elles se différencient par leur recrutement genré et par la structuration des diplômes. L’analyse tient ensemble les conditions d’élaboration des aspirations juvéniles et les conditions d’affectation dans ces spécialités et voies de formation. Si elles conduisent à la formulation de vœux d’orientation vers des spécialités distinctes selon leur sex-ratio, les conditions d’élaboration des aspirations juvéniles semblent proches, au regard des parcours scolaires, des conseils institutionnels et des soutiens parentaux dont les élèves de troisième font l’objet. La comparaison des spécialités et voies de formation fait apparaître une distinction des critères de sélection en lycée professionnel et en CFA, où les profils scolaires des candidats ont plus ou moins d’importance. Elle met aussi en évidence des formes de sélection différenciées entre une spécialité masculine proposant un baccalauréat, et une spécialité féminine structurée autour d’une filière CAP-BP (brevet professionnel).
Les enseignants de lycée professionnel.
Cadre de travail et bien-être… quelles spécificités ?
Marie-Noël Vercambre-Jacquot, Nathalie Billaudeau
Itinéraire professionnel, cadre de travail, origine sociale des élèves... le profil et l’environnement de travail des enseignants de lycée professionnel (LP) diffèrent nettement de ceux de leurs collègues de lycée d’enseignement général et technologique (LEGT). Dans quelle mesure ces différences se traduisent-elles en termes de disparité de bien-être, au travail et plus généralement ?
Dans une enquête à caractère représentatif réalisée en 2013 auprès de plusieurs milliers d’enseignants, à la question « aujourd’hui, si vous deviez faire le bilan de votre expérience professionnelle d’enseignant, vous diriez-vous… ? », 18 % des professeurs de LP répondent : « très satisfait » et 60 % « assez satisfait ». Ils sont respectivement 25 % et 60 % en LEGT. L’écart brut de satisfaction s’atténue, mais reste statistiquement significatif si l’on tient compte des différences de conditions d’exercice. Les enseignants de LP sont également un peu plus pessimistes quant à l’évolution du métier (67 % trouvent l’exercice du métier de plus en plus difficile contre 61 % en LEGT), mais ne présentent pas de symptomatologie d’épuisement professionnel nettement plus marquée. La qualité de vie et la santé ressentie des enseignants de LP et de LEGT sont de niveau comparable, sauf en ce qui concerne la satisfaction vis-à-vis de l’environnement, un peu moindre chez les professeurs de LP. Si l’absence de disparité flagrante de bien-être laisse à penser que les enseignants de LP « font face », nos résultats considérés dans leur globalité suggèrent cependant un état d’insatisfaction latent en LP, en particulier chez les hommes, à approfondir dans des études futures.
S’orienter en licence après un bac technologique.
Entre logiques individuelles et mécanismes institutionnels
Nadine Théophile
Les bacheliers technologiques représentent une part de plus en plus importante des inscrits en licence, et, en raison de leur moindre réussite, invitent les universités à s’adapter. Leur orientation en licence n’est pas forcément une orientation par défaut, c’est-à-dire faute d’avoir été recruté dans une formation sélective. Ainsi, dans l’académie de Créteil, près d’un quart des lycéens technologiques ont placé une licence en tête de leur classement dans l’application Admission Post-Bac (APB). Ces lycéens sont majoritairement issus de quatre séries de bac et leurs choix d’orientation sont concentrés sur quelques licences. Ces choix peuvent s’expliquer par leur appétence personnelle et la représentation qu’ils ont d’un prolongement de leurs études secondaires. Leurs choix peuvent se trouver confortés par les informations délivrées par l’Onisep : en raison de l’accès de droit à la licence pour tous les bacheliers, ces informations jouent sur le registre des recommandations. Ces recommandations reposent sur des arguments collectifs, contrebalancés par les qualités et talents personnels. Les universités, quant à elles, n’ont que des leviers d’action limités pour réguler les flux : elles utilisent les plaquettes de présentation des formations pour cibler leur public et développent des actions en direction des lycéens afin de mieux les orienter.
La motivation des élèves à répondre à un test standardisé.
Résultats d’une étude dans le cadre de Cedre compétences langagières et littératie
Sylvie Fumel, Saskia Keskpaik
Les évaluations standardisées des élèves, telles que Cedre ou PISA, renvoient à des enjeux politiques croissants alors qu’elles restent à faible enjeu pour les élèves y participant. Dans le système éducatif français où la notation tient une place prépondérante, la question de la motivation des élèves face à ces évaluations mérite d’être posée. Une étude expérimentale a été effectuée en 2015, visant à comparer les performances de deux groupes d’élèves : un groupe expérimental qui participe à l’évaluation ayant au préalable reçu l’information que l’épreuve sera notée et un groupe témoin qui passe le test dans les conditions habituelles d’une épreuve standardisée non notée. L’analyse des résultats dégage une tendance pour un plus grand investissement dans une évaluation aux enjeux élevés, mais les résultats restent à confirmer à plus grande échelle.
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