Comment parler des livres qu'on n'a pas lus ?
Pierre Bayard - Éditions de Minuit, collection Paradoxe, 2007
Pierre Bayard est professeur de littérature à l'Université Paris 8. Il avoue être un non-lecteur, au sens où il lui est impossible de lire tous les livres qu'il évoque dans ses cours, dans ses publications ou lors de discussions professionnelles. Ces situations, parfois gênantes, l'ont amené à réfléchir sur les ressources qu'il mobilise pour donner l'impression à ses auditeurs ou lecteurs qu'il a bien lu le livre dont il parle.
La première partie de ce livre est consacrée à définir la non-lecture. Il détermine quatre catégories de non-lecture.
Tout d'abord, les livres non lus. Dans ce cas-là, la seule solution pour s'en sortir est de puiser dans ce que Pierre Bayard appelle « la science du bibliothécaire », c'est à dire la situation de l'ouvrage dans une bibliothèque : son auteur, les indices du titre… pour pouvoir orienter la discussion sur d'autres ouvrages.
Ensuite, les livres que l'on a parcourus : nous lisons rarement un livre du premier mot au dernier, nous suivons un parcours plus ou moins linéaire entre ses pages. L'intérêt est de renforcer notre « bibliothèque collective ».
Puis, les livres dont on a entendu parler. Ce sont alors des livres-écrans, nous nous souvenons des commentaires et discussions à leur propos, au point que ces souvenirs nous donnent l'impression d'avoir lu ces livres.
Enfin, les livres que l'on a oubliés. Notre mémoire conserve des fragments de livres et non les ouvrages entiers, elle les découpe, les mélange au point de faire de la lecture une perte plutôt qu'un gain. Ce qui, selon Pierre Bayard, est une bonne nouvelle car le plus grand lecteur devient ainsi un non-lecteur.
La seconde partie du livre évoque différentes situations où le fait de ne pas avoir lu un livre peut poser problème. Que ce soit dans la vie mondaine, où il faut recourir à la bibliothèque collective pour garder la face, et ne pas cantonner la discussion à un seul livre (surtout qu'on ne l'a pas lu…). Ou face à un professeur, cas que connaît bien Pierre Bayard ; il remarque que ses étudiants s'appuient sur leurs représentations culturelles ou leurs expériences personnelles pour parler d'un livre qu'ils ne connaissent pas.
Pire encore, face à l'écrivain en personne. Là il n'y a qu'une chose à faire : dire du bien de l'ouvrage sans entrer dans les détails, inutile de résumer son livre à l'auteur mais simplement lui dire qu'on l'a aimé.
Dans la troisième partie, Pierre Bayard donne des conseils pour « parler des livres que l'on n'a pas lus ». Il en développe quatre.
Le premier : « ne pas avoir honte ». Les livres lus forment notre bagage culturel et nous situent socialement. En fonction du milieu dans lequel nous évoluons, ne pas connaître certains ouvrages apparaît comme un manque de culture scandaleux. Il faut donc nous délivrer du poids de cette contrainte et accepter tout simplement de ne pas connaître tel ou tel livre.
Le second : « imposer ses idées ». Ce que l'on pense en s'appuyant sur notre bibliothèque collective ou sur les commentaires entendus, doit être asséné avec force et conviction pour amener nos contradicteurs à se ranger à nos idées.
Le troisième : « inventer des livres ». Il est vain de croire que les Autres ont lu tous les livres, en particulier ceux dont ils parlent, et surtout qu'ils se souviennent de tous les détails. Rien ne nous interdit donc de nous appuyer sur des perceptions subjectives qui renvoient à ce que nous aurions compris du livre, pour en discuter.
Le quatrième : « parler de soi ». En inventant une histoire, des passages d'un livre, c'est de soi-même que l'on parle car on joue sur sa culture, sa subjectivité... Cette façon de faire permet donc à son interlocuteur de mieux saisir le processus créatif mis en action par l'écrivain.
Finalement, ne pas lire un livre, c'est s'autoriser l'imagination, c'est se plonger dans « les arts de l'invention », c'est vaincre la peur de la culture pour accepter de s'exprimer. « Tout enseignement devrait tendre à aider ceux qui le reçoivent à acquérir suffisamment de liberté par rapport aux œuvres pour devenir eux-mêmes des écrivains ou des artistes. »
Lecture proposée par Sylvie Guigue, LPO Henri Laurens, Saint-Vallier.